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Le Réquisitoire d’un jeune africain

par Akodien 2 Août 2007, 17:52 Opinions

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Maître Nicolas SARKOZY, Président de la République Française, a effectué du 26 au 27 juillet une visite de travail au Sénégal. Il a prononcé une allocution destinée à la jeunesse africaine dans le lieu symbolique que constitue l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar. Certes, ce discours ne peut guère laisser insensible l’intelligentsia sénégalaise, africaine et la diaspora. Elle mérite une analyse lucide et rationnelle car le message véhiculé par le locataire du Palais de l’Elysée comporte beaucoup de contre vérités, d’insuffisances et de non dits.

Pour tomber dans le piège de l'impasse du non-dit négatif, le Président Nicolas SARKOZY ne doit sûrement pas connaître l’Afrique, encore moins les Africains et sa jeunesse, eu égard à son discours qui est une sorte de repentance déguisée sans excuses aucune.

 Maître SARKOZY, ignore dramatiquement que la relation entre l’Afrique et L’Europe date de plusieurs siècles et qu’il y a eu un vécu d’événements successifs que l’Afrique peut peut-être pardonner difficilement mais en aucun cas oublier, à fortiori l’Europe qui doit assumer la responsabilité morale et pénale.

Essayons de retracer les rapports de l’Europe avec l’Afrique dans l’histoire. En effet, La Traite négrière s’est exercée dans une violence extrême durant six siècles. Cinquante millions de Noirs ont été déportés, vendus ou échangés contre des matières premières telles que le coton, le sucre ou le café. Ce cycle d’échange, appelé commerce triangulaire, générait en France plus de 60 millions de francs de bénéfices par an, et l’émergence de plusieurs secteurs d'activités.

D’ailleurs Adam Smith, Karl Marx, et Eric William soutiendront que la traite négrière est l’un des facteurs explicatifs majeurs du développement du capitalisme surtout dans les secteurs agricoles, commerciaux et industriels. Des économies Européennes telles que la Grande Bretagne et la France se sont développées grâce à une main-d’œuvre importée d'Afrique noire  entre le seizième et le dix-neuvième siècle.

Or, dans son discours, le Président SARKOZY oublie que la France avait constitutionnalisé la traître négrière en 1685, par un CODE NOIR promulgué par le Roi Louis XIV. Ce code contenait des textes de lois définissant et légalisant juridiquement la traite des Noirs. Dans ce texte, le Noir est considéré comme un bien meuble différent donc d’une personne, mais une chose dont le propriétaire peut librement disposer dans les limites de la loi. Pis, à l'époque, le code noir était supposé être une amélioration du statut du Noir.

Ensuite, il y a eu la colonisation qui était une suite logique dans le processus de pillage du Continent Africain. Le Président Nicolas SARKOZY l’a reconnu clairement dans un passage lorsqu’il dit : « Le colonisateur est venu, il a pris, il s'est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail ». Et pourtant le groupe parlementaire de l’UMP avait voté la loi louant les mérites de la colonisation.

Un autre passage vient semer le doute sur la sincérité des propos de Nicolas SARKOZY, lorsqu’il dit : « La colonisation n'est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l'Afrique. Elle n'est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux", ni des "génocides", des "dictateurs", du "fanatisme", de "la corruption et de la prévarication (...), des gaspillages, de la pollution. » ; soit une fuite en avant ou une autre forme de ne pas assumer les responsabilités de la France et de nier le rôle qu'ont pu jouer les occidentaux dans les diverses guerres survenues sur ce continent en renvoyant les Africains à leur sort.

Pour tenir ce discours, Nicolas SARKOZY a sûrement négligé que les Africains ont défendu et libéré  la France à deux reprises. La première guerre mondiale de  1914 à 1918, 181 512 tirailleurs sénégalais ont été enrôlés dans l’armée coloniale dont 28 700 seront tués et 6 500 disparus. La deuxième guerre mondiale de 1939 à 1945, l’armée française avait réquisitionné  140 000  Africains, dont 24 000 seront morts, 49 500  faits prisonniers et 10 049 ont disparus. On aurait même prêté à Hitler ces propos : «  Si ce n’étaient pas les nègres, noirs comme du charbon, nombreux comme des Fourmies, braves comme des lions, je bombarderais la France en vingt-quatre heures, je prendrai De Gaulle que je mettrai dans une bouteille carrée que je jetterais au fond  de l’atlantique ».

Après les deux guerres mondiales, l’Europe avait un besoin urgent de se reconstruire. Face à l’entretien des colonies aux ressources minières vidées qui devenait de plus en plus pesant, l’Europe décida d’accorder l’indépendance à la quasi totalité de ses colonies. Pour ensuite lancer un appel à la main-d’œuvre aux Africains qui ont largement participé aux Trente Glorieuses où l’Europe a cumulé successivement une croissance économique de 11 points.

L’Europe, passant au stade de la néo-colonisation qui était une autre forme de mise en place d’un système motivé à assurer à un équilibre de choix à la France grâce à une sphère d’influence en Afrique francophone, à privilégier un accès  aux matières premières stratégiques, à encourager la corruption et le détournement de l’aide publique au développement au profit d'hommes politiques français et africains et enfin à consolider un corporatisme et une défense mutuelle d'intérêts au sein des réseaux montés et gérés par des cellules logées à l’Elysée, à Matignon et au quai d’Orsay. Pour contrecarrer le développement Africain qui était analogue aux intérêts de la France, les services secrets ont  planifiés  et liquidés les dignes fils du continent qui étaient déterminés et engagés, visionnaires et porteurs. Citons quelques exemples précis où la France porte la responsabilité morale et pénale.

Le 17 janvier 1961 Patrice LUMUMBA, Premier Ministre congolais est arrêté, humilié et assassiné avec la complicité de la France, la Belgique, les Etats-Unis et l’ONU. Le 02 octobre 1961, le Docteur Félix Rolland MOUMIE, indépendantiste camerounais est empoisonné à Genève par les services secrets  suisses et français ; le 13 janvier 1963, Sylvanus OLYMPIO, Président élu démocratiquement au Togo est renversé puis assassiné par un coup d’Etat  fomenté par la France. Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben BARKA, Leader de l’opposition marocaine et de l’UFMP, panafricaniste est enlevé, séquestré puis assassiné par les agents secrets marocains et français. Le 20 janvier 1973, soit six mois seulement avant l’indépendance de la Guinée-Bissau, Amilcar  Cabral, Leader du PAIGC et nationaliste Cap-verdien et Bissau-guinéen, meurt à Conakry d’un guet-apens orchestré par le Portugal sous la supervision de la France et la complicité de la Guinée. Le 28 aout 1973 à Paris, le Docteur Outel BONO, opposant tchadien au régime du dictateur  Tombalbaye, fut abattu lorsqu’il s’apprêtait à rendre public la naissance du Mouvement Démocratique de Rénovation Tchadienne. L’assassin présumé membre des renseignements généraux français, n’a jamais été convoqué par un Juge, pis en 1982, l’instruction se conclura par un non-lieu et il fut dédommagé.  Le Docteur BONO a sûrement payé de son patriotisme africain et de sa volonté  de retirer le Tchad de la francafrique. En Mai 1978, le Président des Comores, Ali SOILIHI, fut renversé par des mercenaires Français sous la conduite de Bob DENARD, agent secret français. Il fut lâchement abattu quelques jours plus tard sous les ordres de l’Elysée.  Ingénieur Agronome, Ali SOILIHI, un des premiers intellectuels comoriens s’est fait distinguer par sa capacité et sa réussite d’avoir réaliser une autosuffisance alimentaire, une éducation appropriée et un plein emploi. Il a payé son combat pour l’émancipation, la conscientisation des nouvelles générations dynamiques et innovateurs pour un avenir promoteur sans la France. Le 15 octobre 1987 Thomas SANKARA, panafricaniste et tiers-mondiste fut assassiné par un coup d’Etat orchestré par la France qui lui reprochait son indépendance totale et sa rébellion ou non soumission à François MITTERAND.

Pour le cas du Sénégal, Mamadou DIA qui avait déclenché un processus de rupture définitive avec la France, a été arrêté, condamné et déporté à Kédougou. Des jeunes étudiants révolutionnaires tels que Cheikh Anta DIOP, Majmouth DIOP et Abdoulaye WADE qui planifiaient un  processus d'édification des Etats-Unis d’Afrique en tant que choix stratégique tex tus au model américain, en ne cessant d’apporter une contribution décisive à la création d’une Afrique unie et en œuvrant énergiquement à la concrétisation et à la dynamisation de l’intégration africaine, seront combattus, contrecarrés et écartés des prises de décisions.

Grosso modo, le discours de Maître Nicolas SARKOZY n’apporte aucune alternative à la jeunesse africaine, aucune perspective au développement du vieux continent et aucune proposition pour réguler l’immigration clandestine.

Cette jeunesse est consciente qu’elle est l’avenir de l’Afrique et qu’elle doit participer massivement à sa reconstruction. Pour cela, elle ne cesse de poser des actes de transcendance dont le temps fera la différence. Cette nouvelle jeunesse africaine qui incarne le refus et le progrès, est engagée, déterminée, collégiale et solidaire.


Par Cheikh Sidiya DIOP

Analyste Auditor JJW France

Panafricaniste et Membre du Club E-Réflexion

Secrétaire Général de la Ligue des Masses/ Mouvement pour Sauver le Sénégal

 
 
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