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Mamadou Koulibaly renvoie Nicolas Sarkozy dans les cordes : Non à l’Eurafrique, Oui à la Librafrique

par Akodien 9 Août 2007, 10:12 Lu pour vous

Mamadou-Koulibaly.jpgLe président de l’Assemblée nationale ivoirienne, l’économiste Mamadou Koulibaly n’est pas à ses premières escarmouches avec la Francafrique qui a entraîné son pays dans une guerre fratricide, dont il essaye vaillamment de se tirer. Devant le discours stupéfiant d’arrogance et de paternalisme missionnaire du 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar prononcé par un président français confondant apparemment «droite décomplexée» et certitudes ethno-raciales à la Tintin au Congo, Mamadou Koulibaly est -c’est son mérite, mais c’est triste pour l’Afrique- une des seules personnalités africaines de premier plan qui ait réagi officiellement aux propos surréalistes entendus. Il livre une réponse libre et sur un ton décalé d’où il ressort un refus net de repartir sur les ficelles anciennes et rances de la Francafrique, même présentée en Eurafrique. Une prise de parole d’«Africain», cette catégorie que le président français affectionne et dont il s’est fait l’ethnologue de circonstance. Article repris des journaux africains Le Quotidien de Dakar (le 04.07.07) et Le Messager (Douala, le 06.07.07)

Le président de la République française est venu, comme De Gaulle et il a parlé aux Africains. Qu’a-t-il dit au juste ? Il nous a fait une série de propositions et d’analyses. Écoutons-le :
“Ce que la France veut faire avec l’Afrique, c’est une alliance, c’est l’alliance de la jeunesse française et de la jeunesse africaine pour que le monde de demain soit un meilleur monde”. Le nom de cette alliance est Eurafrique. La France s’est mariée à l’Europe et nous vous apportons cette Europe de même que nous vous apportons à l’Europe. L’Afrique sera dans la corbeille de mariage de la France avec l’Europe et dans la corbeille de l’Europe avec le monde. Je suis venu vous proposer une place, comme la France sait le faire habituellement. Souvenez-vous par exemple des Dom Tom.
Mais comme vous le savez, l’Afrique est très différentiée. Il y a l’Afrique du Nord. Et il y a l’Afrique noire. En Libye, donc en Afrique du Nord, où je suis passé, j’ai signé des contrats juteux d’exploitation de centrales nucléaires et d’uranium. Des contrats portant sur la défense et autres affaires hautement stratégiques pour mon pays. Avec l’Afrique du Nord, on ne parle ni de morale, ni de développement. On ne donne pas de leçons mais on passe des contrats. On ne lance pas d’appels aux Libyens de l’étranger pour leur retour dans leur pays. On ne fait pas de promesses d’aides publiques françaises à la Libye. On parle affaires. Des contrats, des contrats et encore des contrats. Sur l’uranium, sur la défense, sur le nucléaire. Trade not aid, telle est notre règle.
Avec l’Afrique noire, avec vous, que dire ? Je vous ai fait mal, mes bébés. Hum ! N’en parlons plus. Mais ne me demandez surtout pas de repentance, puisque vous-mêmes, vous êtes coupables de vous être laissés battre par mes ancêtres. En plus, quand mes ancêtres arrivaient chez vous, vous vous décimiez vous-mêmes déjà sans notre aide. Vous êtes plus coupables que nous. Nous avons commis des crimes contre l’Humanité. Oui, mais vous n’avez rien fait pour nous en empêcher. En tout cas pas suffisamment pour nous convaincre que ce que nous avions l’intention de faire, était criminelle.
Ne rêvez surtout pas à un retour en arrière pour rejoindre votre prétendu âge d’or qui aurait existé dans le passé. Vous n’avez jamais eu d’âge d’or. N’en rêvez pas. Le monde ne marche pas à reculons mais progresse vers l’avenir. L’histoire a un sens. La colonisation a été un crime contre l’humanité, mais mes parents ont proposé aux vôtres l’indépendance, qu’ils ont acceptée.
La colonisation c’était l’exploitation de l’homme par l’homme ; l’indépendance est exactement le contraire. Vos historiens et autres anthropologues vous mentent. Je vous le dit ici à vous, les jeunes d’Afrique, à l’Université Cheick Anta Diop. Devant vos chefs. Devant vos profs. Devant votre classe politique, gouvernement et opposition réunis. Devant vous étudiants, hommes de maintenant et hommes de demain. Arrêtez de rêver d’un futur qui puisse être le vôtre, à vous tout seuls.
Maintenant, vous m’appartenez définitivement. Arrêtez d’avoir la nostalgie d’un passé qui n’a jamais existé. Je vous propose l’Eurafrique. Vous entrez avec moi dans les bonnes grâces de l’Europe. Je vous apporte l’Europe comme hier je vous ai apporté l’Esclavage. Je vous apporte l’Europe comme hier je vous ai apporté la Colonisation. Je vous apporte l’Europe comme hier je vous ai apporté l’Indépendance.
Je vous vois stupéfaits, n’est-ce pas ? Mais je vous apporte aussi les moyens qui vous seront propres pour inventer, vous-mêmes, votre avenir. Oubliez le passé. Maintenant, vous ne serez plus seulement à la France, mais à l’Europe. La France, c’est votre héritage occidental. La colonisation vous l’a apportée.
Aid not trade. Telle est mon offre. Ne vous coupez pas de cet héritage. La civilisation européenne vous appartient. A vous aussi. Renoncez à la tentation de pureté comme nous le faisons en Europe. Ne répondez pas au racisme de la France par le racisme. Ne répondez pas à l’intolérance de la France par l’intolérance. Je sais, je vous ai fait mal, mais laissez tomber. Allons ensemble dans l’avenir. Renoncez à la maladie de l’intelligence. Si vous voulez venir chez nous, pas de problème, nous négocierons votre migration. Nous déciderons ensemble, pour vous, comment vous viendrez. Pas en citoyens libres, mais en immigrés.
Vous rêvez de la Renaissance africaine ? Pourquoi pas ! Après tout, vous avez eu, semble-t-il, l’Egypte et d’autres brillantes civilisations que mes ancêtres ont battues à plate couture et soumises depuis des siècles. Oubliez le passé peu glorieux que vos ascendants vous ont laissé. Nous vous aiderons à la bâtir, cette renaissance, si tel est votre désir.
Commencez déjà par prendre notre civilisation comme héritage. Vous voulez la liberté, la démocratie ? Bien. Mais savez-vous que l’Europe est bâtie sur l’égalité, la justice, le droit, la liberté, la démocratie et la libre propriété ? Je vous apporte ces valeurs universelles. Et n’allez pas chercher ailleurs. Tout ce que vous voulez, commandez et je vous livre tout de suite. Nous sommes généreux, nous vous aimons. Ce n’est pas de la pitié, mais c’est notre intérêt.

 

Ainsi nous a parlé Nicolas Sarkozy, le président de tous les Français.

 

Que lui dire ?

 

Merci Sarkozy. Merci pour tes propositions. Mais nous, on veut aller dans le monde par le marché et non sous la protection de qui que ce soit. Nous connaissons le chemin. Le monde, ce n’est pas que la France ; le monde, ce n’est pas que l’Europe. Le monde, c’est aussi l’Afrique, c’est aussi l’Amérique, c’est aussi l’Asie. Le monde, c’est ailleurs. Nous voulons choisir librement notre méthode d’y entrer, notre façon d’y participer. Ce n’est pas par dégoût, mais c’est notre intérêt et rien que cela.
L’Eurafrique ? Très bien merci. Mais ça sera vraisemblablement comme par le passé. Il y a déjà les sommets franco-africains. Il y aura des sommets Eurafricains. Il y aura une bureaucratie Eurafricaine, comme il y a celle des UE-ACP. Nous n’avons plus du temps à perdre à négocier lors de sommets de Chefs d’Etat. Nous allons directement sur les marchés librement avec nos besoins et nos moyens.
Nous ne voulons plus être marchés captifs de qui que ce soit. Nous voulons redevenir libres. Il ne s’agit pas d’un retour à un quelconque âge d’or. Il ne s’agit pas d’une option pour nous, mais de notre survie.
Il s’agit d’être simplement des humains, de vivre comme tels et d’être traités comme tels. Nous ne voulons pas de traitement de faveur. Nous voulons avoir notre liberté de choix. Nous voulons tirer profit des droits imprescriptibles que nous avons d’être propriétaires de nous-mêmes en tant qu’humains. Nous voulons être libres dans la mondialisation, comme nous ne l’avons jamais été sur les marchés des esclaves. Sur les marchés coloniaux. Dans le pacte colonial. Nous ne voulons pas aller sur les marchés mondiaux enchaînés par des accords protectionnistes ; ni avec la France, ni avec l’Europe.
N’est-ce pas vous qui avez dit que l’Afrique ne comptait pas pour la France ? N’est-ce pas vous qui dites aussi que le Niger, avec son uranium, compte énormément pour la France ? Savez-vous que le Niger est un pays d’Afrique ? La duplicité de votre langage ne nous rassure guère. Vous parlez d’amour là où le monde parle d’intérêt et d’intérêt là où le monde parle d’amour. Nous ne voulons plus de cette protection infantilisante qui vous donne le droit de vouloir: Tout faire pour nous. Tout faire avec nous. Tout faire par nous. Tout faire sans nous. Et au bout du compte, tout faire contre nous. Nous ne voulons plus des accords léonins qui, sous prétexte de vouloir nous aider, nous font plus de mal que de bien.
Nous voulons que Sarkozy nous laisse faire, nous laisse passer. Nous voulons que la France nous laisse faire, nous laisse passer. Nous voulons que l’Europe nous laisse faire, nous laisse passer. Nous voulons que le monde nous accueille comme nous sommes, tels que nous sommes et non comme la France veut que nous soyons ou que l’Europe voudrait que nous soyons. Nous connaissons le mode d’emploi de la mondialisation. Aucun épouvantail ne nous fera renoncer sur la route de la liberté.
L’Eurafrique ? Pourquoi pas. Merci pour votre offre. Mais nous sommes déjà dans le monde sous le couvert de l’Europe qui agit par procuration de la France. Nous ne voulons pas de la mondialisation des servitudes. Nous voulons celle des libertés. Nous voulons simplement : De l’économie de marché. De la société ouverte. De la société de droit. Ni plus, ni moins. Sarkozy pourrait-il nous aider dans ce sens ? A nous libérer des accords précédents ? Ceux des indépendances ? Pour enfin nous libérer du carcan post colonial.
Nous ne voulons pas aller dans le monde comme hier nous sommes allés dans l’Europe, par la France. Nous ne voulons pas de votre liberté en double standard, et sous surveillance. Nous ne comprenons pas que nos avoirs extérieurs nets en devises soient déposés au Trésor Public de chez vous. Nous ne comprenons pas que nous soyons perçus comme des contribuables par l’Etat français, alors que vous nous ressassez que la colonisation est terminée depuis belle lurette ?
Nous ne voulons plus de vos accords de coopération qui ne règlent rien, mais qui pillent tout. Nous voulons être libres de choisir nous-mêmes notre destin. Libres de choisir nous-mêmes qui nous accompagnera et pour quoi. Merci de votre sollicitude.
Tu veux que je décide librement ? Soit. Mais je ne veux pas que tu sois là. Tu veux que je décide librement ? Mais soit. Je ne veux pas décider avec toi. Je veux décider seul. Tu veux que ma volonté se réalise pleinement ? Oui, je le veux aussi. Mais je ne veux pas réaliser mon destin avec toi. Je veux le faire moi-même, sans guide, ni parrain, ni gourou. Tu veux t’associer avec moi ? Oui, mais ne me demande pas d’être exclusivement à toi. D’être ta chose. Je veux être libre de m’associer avec qui je veux et comme je le veux et quand je le veux. La mondialisation telle qu’elle est faite pour moi ne me plait pas. C’est vrai. Je veux la démocratie. Je veux le droit. Je veux la justice. Je veux la propriété libre. Je veux la liberté. Mais je veux aussi la responsabilité.

 

Rencontre de deux visions
Au lieu de l’Eurafrique, nous voulons la Librafrique. Si vous voulez un véritable discours de rupture, monsieur le président de la République française alors, en plus de définir la politique africaine de la France, il vous faudra désormais intégrer la politique française de l’Afrique. C’est de la rencontre des ces deux visions sous la contrainte de nos autres relations que naîtra le monde meilleur souhaité par la jeunesse africaine et pour lequel elle est prête à travailler avec toutes les jeunesses du monde. Pour cela, il faut que vous nous laissiez faire.
Les libertés et les droits de l’homme ne se négocient pas. L’autodétermination des peuples est un droit. Vous ne pouvez pas garder les démocraties pour vous et cultiver les autocraties chez nous. Arrêtez de le faire. Le marché ne peut pas être pour l’Europe et les bureaucraties pour l’Afrique. Arrêtez de le concevoir.

 

Encore une fois merci d’être venu et d’avoir parlé comme vous avez parlé. Votre discours avorté de rupture donne une occasion de rupture effective à la Jeunesse d'Afrique si discourtoisement interpellée par vous à Dakar le 26 juillet 2007. Vos désirs de rupture d'avec les vues de vos prédécesseurs ne nous intéressent pas, d'autant qu'ils n'iront jamais jusqu'à la remise en cause des fondamentaux de la traditionnelle politique africaine de la France. Par contre, nous avons avec la mondialisation l'occasion de rompre avec le modèle de coopération que la France nous propose. Merci de nous avoir donné l’occasion de vous le dire. Parce que nous avons compris que, si pour le moment, la rupture, ce n'est pas pour vous, nous vous indiquons que c'est avec vous, nouvelles et anciennes élites françaises, que nous, jeunes d'Afrique, nous rompons.

 

 
Mamadou KOULIBALY
Président de l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire
Paru : Le 4 Août in Le Quotidien de Dakar,
Le 6 Août 2007 in Le Messager, Douala Afrikara

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