Réaction de
Georges Njamkepo, expert - consultant international
sur les évènements qui se sont déroulés en Côte d'Ivoire
En regardant les images sur l'arrestation du Président de Côte d'Ivoire, j'ai de la peine, beaucoup de peine. Monsieur
Laurent Gbagbo, Président de la République de Côte d'Ivoire vient d'être humilié et avec lui, les institutions de la République, c'est à dire le peuple de Côte d'Ivoire. Bien entendu, par voie de
conséquence, tous les africains et Monsieur Ouattarra avec, nous sommes désormais sans lumière, dans l'obscurité totale...
Quelque soit les raisons pour lesquelles on combat, autant il n'est pas nécessaire de laisser tuer des êtres humains,
autant il est dérisoire et futile de tuer l'image d'un homme quel qu'il soit, quelque soit ce qu'il a fait, parce qu'il y a l'histoire, et l'histoire retiendra que Monsieur Laurent Gbagbo a été
humilié, avec la bénédiction des ivoiriens et de tous ceux qui ont participé à cette farce, que dis-je, cette folie meurtrière, il a été humilié avec la bénédiction des chefs d'états africains
qui n'ont pas levé le petit doigt pour essayer de tempérer les esprits. Il a été trainé dans la boue grâce à notre légendaire irresponsabilité, notre capacité à désigner les autres comme les
coupables de nos malheurs, à cause de nos complexes face aux autres. Laurent Gbagbo a été instrumentalisé pour démontrer aux africains qu'ils ne sont finalement rien que du bétail... Et j'espère
que tout le monde en Afrique l'aura vu ainsi, que cette leçon magistrale fera le tour du continent.
De longues années durant, on nous a raconté, à nous qui n’avions pas assisté à ces drames, le calvaire des Lumumba, Sékou
Touré, Hamani Diori, la fin des Um Nyobé et autres Bokassa. Aujourd’hui, nous avons enfin pu assister in vivo, à la chute d’un homme qui a tord ou à raison, défendait pour des desseins que lui
seul maîtrise et dans une logique désormais désuète face à la mondialisation, un nationalisme larvé et un panafricanisme discret. J'ai vu la détresse dans le regard de cet homme qui a fini au
bout de quelques mois, quelques années, à perdre totalement sa verticalité, à croire que tout lui était du, à vouloir se convaincre que finalement sur cette planète, la Côte d’Ivoire devait avoir
un destin particulier. Dans le regard de cet homme, j'ai constaté le désarroi, la souffrance d'avoir combattu finalement pour se retrouver traqué comme un rat, dans son regard qui me parlait,
j'ai vu les pleurs de toutes les familles endeuillées pour rien, vraiment pour rien. Dans le regard de Monsieur Gbagbo, j'ai vu la profondeur de la vision rétrospective sur la récente histoire de
son pays, j'ai vu les regrets d'avoir démarré ce conflit, mais surtout d'avoir accepté de jouer le jeu de la surenchère comme les africains savent tellement et si bien le faire...
Laurent Gbagbo, après avoir connu la gloire, après avoir géré les armoiries de la Côte d'Ivoire durant 10 ans, après avoir
vécu dans le luxe, sous les lambris dorés de la République, Monsieur Laurent Gbagbo a été arrêté, le filet s’est abattu sur lui comme un simple voile destiné à le rendre muet, aphone et lui
empêcher de crier sa haine du moment. Quelle ironie pour un chef de guerre de déclarer lors de sa première sortie médiatique, lorsque finalement il reçoit le soleil dans les yeux, après quelques
semaines d’obscurité et de lumière artificielle, comme s’il s’éveillait pour la première fois à la vie: "Je souhaite qu’on arrête les armes, qu’on rende la partie civile de la crise et qu’on la
conclut rapidement pour que le pays reprenne…". Ce sont les premiers mots d’un prisonnier, hagard, interloqué, ahuri… Un homme qui quelques semaines auparavant, n’imaginait pas un seul instant la
fin de son arrogance.
Quelle victoire pour son adversaire, quelle plaisir pour ceux qui comme Monsieur Ouattarra voulaient la tête de ce
monsieur. Après son parcours de politicien combatif, Monsieur Gbagbo a fini dans un souterrain mal éclairé, sale, sans aération, dans les profondeurs d'une cave qui laissait mal augurer un avenir
possible, pour quelqu'un qui en fuite, avait pris le soin méticuleux de mettre le feu aux poudres et d'allumer le brasier au-dessus, dans la maison qui surplombe la cachette où il se terre. Qui
paiera la facture, qui paiera donc les morts de Côte d'Ivoire, qui sèchera les larmes des mamans, des femmes, des enfants, qui cajolera finalement ceux qui nombreux, ont appris à leurs dépends
que lorsque deux éléphants se battent il vaut mieux être loin, très loin... Je souffre, je souffre beaucoup dans ma chair, de voir jonchés sur le bitume ces corps mutilés, ces corps sans vie, je
souffre dans ma chair de comprendre que finalement une vie ne vaut qu'une balle de fusil... Que la vie d’un homme se mesure à l’aune d’un AK47. Je crie, je vous crie ma douleur, entendez les
soubresauts de mon corps qui tressaute à la vue de ce gâchis, de cet énorme misère de l'humanité, nous avons en Afrique, perdu le sens de la vie, l'envie de vivre s'en est allée...
Je ne peux retenir mes larmes à l'idée que l'histoire de la violence sur le continent est encore longue, mais pire, elle
devient désormais banale, ordinaire et naturelle parce que deux coqs se disputent la basse-cour… Notre violence est devenue une seconde nature. Suis-je vraiment si naïf, suis-je vraiment encore
trop faible, crédule, candide, suis-je si innocent pour comprendre que finalement le débat sur l'Afrique, le débat africain ne tourne jamais finalement que sur des questions de matières premières
et de quincaillerie, ai-je vraiment reçu le même mode d'emploi de la vie que mes congénères, ou alors... Serait-il possible que je sois dans le vrai et que les africains finalement sont de
simples cruels ordinaires qui au détour du chemin, décapitent, étêtent et tuent comme on cueille une feuille sur un manguier, comme on écrase un cancrelat en écoutant le bruit d’un corps qui se
désintègre, sont-ce simplement des barbares en costume, des sauvages qui refusent de sortir de l'obscurité, qui préfèrent se satisfaire et se complaire dans leur obscurantisme...
Je souffre dans ma chair de voir ces images. Je souffre de constater qu’avec application, et minutie, avec diligence et
vigilance, ces photos feront le tour du monde en quelques secondes et ne laisseront à personne ni les moyens, ni le temps de défendre notre cher Laurent Gbagbo. Est-ce vraiment au nom d'un
contentieux électoral qu'il fallait arriver à cette extrémité ? Est-ce au nom de la démocratie, des droits de l'homme et d’une pseudo conscience universelle qu’il fallait détruire le pays et ce
faisant, en tuant, violant, humiliant au passage ceux que l’on était censé défendre et protéger? Oublie-t-on que 47% des ivoiriens ont voté pour Monsieur Laurent Gbagbo?
Je ne suis pas à l'aise; de quelle bonne cause s’agit-il, et quels desseins sous-entendent cette expédition punitive? Nous
avons trop imaginé que les progrès matériels, les voitures, les belles maisons et les voyages à Paris étaient le symbole de l'indépendance, les symboles de la réussite sociale. Mais je retiens
deux leçons de ce trop long épisode de l'histoire de Côte d'Ivoire: Quand on n’est pas fort, il faut essayer d’être sage disait Voltaire. Notre frère Gbagbo a surestimé ses capacités à mobiliser
sur ses idées et à la force du droit, on a du lui imposer le droit de la force. C’est définitivement humiliant. Nous devons nous replonger dans les fondamentaux et réfléchir sur les moyens que
l'Afrique doit mettre sous tension, en fixant l'accent sur l'éducation et la santé, les valeurs immatérielles et non plus sur les valeurs matérielles.
Désormais lors d’un conflit, si vous ne vous entendez pas sur un sujet de fond ce n'est surtout pas par le canal des
occidentaux que la solution viendra pour vous aider. Dialoguez aussi longtemps qu'il le faudra, dialoguez, mais laissez les chez eux, parce qu'aucun occidental n'aurait accepté que l'on couvrît
un chef d'état occidental d’opprobre comme cela fut fait aujourd'hui... L'Afrique déchirée, l'Afrique humiliée, l'Afrique chosifiée à travers ce conflit de Côte d'Ivoire... Honte à nous les
africains… Parce que pour nous, le monde s'effondre... Je savais depuis le début de ce conflit que j’allais pleurer, je le savais. Alors je pleure... je pleure toutes les larmes de mon corps, mes
nuits seront désormais peuplées de cauchemars... et mes pleurs, j'espère qu'ils iront loin, très loin, jusqu'à la centième génération après nous.
Je pleure, laissez-moi pleurer.