Je discutais avec un ami sur les événements survenus au siège du journal "Charlie Hebdo". Au cours de notre échange il me rappelle que dans un paragraphe de mon livre "Le Kankurang d'Allah", j'ai parlé d'une rencontre entre un journaliste et un terroriste. Et il finit par conclure: "Dommage que tes confrères de "Charlie" n'aient pas eu la même fin que le journaliste de ton livre".
Je vous propose un extrait de ce paragraphe. Bonne lecture.
"Pendant ce temps-là et de l’autre côté de la terre, un modeste journaliste, un petit, un obscur, un sans-grade resté assez longtemps sur sa faim; mais également poussé par la fureur d’une ambition démesurée de s’illustrer, parvint, après bien de rocambolesques épisodes et déboires, à retrouver la trace de l’homme le plus recherché de la planète. Ben Omar avait fini par revendiquer à la face du monde les actes dont on l’accusait. En fait, la réalité était un peu plus compliquée: le fugitif lui-même avait organisé la chose de manière à ce qu’elle parût découler le plus naturellement du monde, des seuls effets capricieux du hasard. Ben Omar le potentat du désert disposait d’un réseau de communication très sophistiqué. Il savait également user des possibilités actuelles de communication dont il tirait profit. Cet apanage lui permettait de prendre contact avec qui il voulait. Il le faisait selon des conditions qu’il promulguait et sans concessions. Il appartenait aux autres de s’y conformer s’ils désiraient rentrer dans ses bonnes grâces. Son service d’ordre s’occupa donc de donner rendez-vous à l’échotier sous les palmiers d’une oasis quelque part dans les immensités de sable, à l’écart des grands médias à la recherche de sensationnel dans la surenchère. Mais également à l’insu du plein gré du journaliste à court de scoop.
On le conduisit les yeux bandés, escorté par deux soldats fédayin armés de kalachnikov, avec des visages dissimulés par un keffieh.
Le fugitif arriva le plus simplement du monde, perché sur sa célèbre pétrolette qui lui avait permis de déjouer la surveillance des polices les mieux équipées de la planète. Il arborait une barbe hirsute, signe distinctif chez le taliban et dont le port pour certains d’entre eux, ne relevait que d’une sorte de pure gloriole ostentatoire sans réellement être de rigueur. Le signe distinctif en question, système pileux du visage, était poivre et sel. Sur ses yeux les lunettes noires d’un grand opticien français de l’hexagone assez fou à monture argentée, rectangulaire et un brin fantaisiste, lui camouflait une bonne partie des traits de la face. Il portait une montre Rolex à son poignet droit. Lui au moins, il n’a pas raté sa vie, lui. Une multitude de diamants en bagues, paraient ses doigts fins qui semblaient régulièrement entretenus par les soins d’une manucure prévenante et bien rémunérée. Son sourire d’acier dévoilait la couronne dorée de sa dentition aux chicots esquintés, mais solidement maintenus à la gencive par l’armature métallique. Il jouait à se donner des airs de faux prophète battant sa coule et à la recherche de sa cinquième épouse par cette manière très désinvolte de jeter avec une négligence calculée, son keffieh sur ses épaules. Il tirait avidement sur sa cigarette effilée de marque américaine à bout filtre tout en scrutant le ciel avec ce semblant de détachement, caractéristique du type affranchi qui parvenait à discriminer les quelques nuances de subtilités dont il était le seul à subodorer la présence. Il donnait ainsi l’impression de s’entretenir en particulier avec Allah, par-dessus la tête des hommes.
Le journaliste, un Nègre, prenait des notes. Il commença d’abord par poser la première question qui semblait tant le tarauder. Il aimerait bien savoir ce qui avait conduit l’homme le plus recherché de la planète à jeter son dévolu sur un journaliste Nègre, qui arborait ses dreadlocks avec tant de fierté, illustre inconnu de surcroît et animant depuis plus d’une quinzaine d’années une émission destinée à la l’information et la culture de l’Afrique et de sa diaspora dans une radio locale de la banlieue lyonnaise, somme toute très ordinaire, quand bien même populaire. Ben-Omar sourit de ce qu’il considéra comme de la pertinence, voire du culot de sa part. Il nota au passage cependant, que le reporter semblait mésestimer sa capacité d’analyse confrontée à un problème aussi délicat que celui de la cohabitation des hommes au sein d’une même société face à son sens aigu de l’équité. Il découvrit ainsi, derechef, l’étai métallique qui renforçait l’armature de sa dentition à travers le mouvement distordu de ses lèvres lippues. Toute une ironie teintée de mépris, s’épanouit de son visage, marquant ainsi sa déconsidération pour ses ennemis. Sa riposte fusa:
- Il faudra apprécier ce choix comme la désignation légitime d’un tiers arbitre face au différend qui oppose des hommes blancs. Choisir un homme d’une toute autre race, accorderait plus de crédit à ma démarche confrontée au tribunal des hommes. Le Secrétaire général de l’Oignon, c’est bien un homme d’une autre race non, non!
Le journaliste acquiesça d’un signe de tête, marquant une satisfaction inopinée. Il était un peu vautré, s’appuyant du menton contre l’espèce de pupitre de fortune qu’il s’était arrangé avec son fourbi. Il régla les boutons de ses instruments de manière à bénéficier d’un son irréprochable sur son enregistreur numérique. Le vent soufflait en bourrasques violentes comme dans une tempête du désert d’un film de fiction sorti de l’imagination débridée d’un américain qui semblait ignorer l’existence du reste du monde. A portée de sa main, sur le pupitre de fortune, il avait posé son appareil photo. Oublié dans un coin, l’enregistreur captait les propos du fuyard en décomptant son compteur numérique. De temps à autre, grisé par le succès de cette aventure qui risquait fort de lui fournir une occasion de se faire des couilles en or tout en le sortant de l’anonymat, notre baroudeur tirait des clichés. Il implorait par moment, Le Kankurang venu du Ciel –c’est ainsi qu’il décida d’appeler Ben-Omar et les siens- pour un sourire commercial, détendu et rassurant à l’intention des lecteurs chouchoutés de son blog.
Confortablement installé sur sa selle, les mains agrippées au guidon torsadé et chromé de son engin, Ben-Omar se lissait la moustache du bout de la langue avec une sorte d’euphorie triomphante mêlée à de la défiance. Il donnait l’impression de savourer secrètement et dans une sorte d’expectative, le bonheur infini que semblait lui procurer cette apothéose inattendue. Au bout d’un temps de vague hésitation, il se racla la gorge bruyamment. Il en extirpa après quelques contractions et grimaces agitées de son visage, un mollard visqueux qu’il envoya d’un jet puissant en direction du correspondant spécial qui le mitraillait sans relâche sous tous les angles. Ce geste de Ben-Omar ne signifiait nullement qu’il méprisait le photographe de presse. Le Kankurang venu du Ciel avait ainsi craché comme le font si souvent les hommes du désert sous la chaleur, sans aucune autre intention à accorder à son comportement. Il le lui confirma d’ailleurs par un sourire benoît qui lui retroussa les lèvres à la manière des babines d’un animal. Le reporter semblait habité par une passion frénétique qui le faisait trépider tels les paparazzis devant certaines stars d’un certain cinéma dont l’inanité des propos n’avait d’égal que leur incapacité à apprécier une véritable œuvre de création, mues par la petitesse de leur existence de bourgeois qui se satisfaisait de la contemplation oiseuse de son nombril. Ben-Omar leva les bras en l’air, les maintint en croix et se mit à parler très fort. Il était comme obnubilé par la crainte de ne point se faire entendre au beau milieu de ce désert cerné de tranquillité silencieuse. Aucune agressivité ne paraissait cependant l’animer. Il était assez solennel et très imbu de sa prééminence. La fumée de sa cigarette s’échappait de sa bouche et ses narines par de grosses volutes qu’il laissait flotter en nuages devant son visage. Il donnait ainsi l’impression d’en estomper les moindres signes d’émotion, susceptibles de trahir cette égalité d’humeur qu’il tenait à afficher. Ses mots sortaient sur un débit lent au timbre monocorde: la vitupération de l’oppresseur par l’opprimé. Il s’insurgeait contre l’arrogance et l’imbécilité de ses ennemis, tout en recherchant une parfaite cohérence de son propos qui lui éviterait de tomber dans les mêmes travers qu’il leur reprochait. Il avait l’heur de dérouler son discours sans jamais trahir ou de la nervosité ou de la surexcitation. Il parlait, essayant de rester en parfaite adéquation avec le monde extérieur qui pouvait ne pas comprendre son attitude:
-Le Kankurang venu du Ciel est tenu de légitimer sa guerre pour le bien fondé de son droit à la vie dans une société complètement trustée par ceux qui s’octroient le privilège d’en exclure les autres. Les accapareurs ont commencé à se considérer comme les maitres de ce monde en établissant ce qu’ils appellent un nouvel ordre mondial… ils veulent occuper nos pays, voler nos ressources imposer leurs agents pour nous diriger et ils veulent que nous soyons d’accord… Le vent de la foi et du changement a soufflé pour anéantir l’injustice… L’heure est venue pour les humiliés de se rebeller… Après les cutters dans les avions, nous parviendrons, du fait de notre seule détermination et de notre imaginaire, à un autre moyen d’action. Je veux parler de l’aiguille, arme absolu s’il en est. L’aiguille sera l’arme d’un travail recherché. Elle sera plus que sophistiquée parce que tout à fait insoupçonnable dans ses nouvelles utilisations. Parce que hors du champ de l’imaginaire de ceux qui ne s’en servent que pour la couture, son usage conventionnel. Il nous appartiendra désormais de procéder à l’expropriation des choses qu’on nous infligeait, d’en faire des objets à nous, par cet industrieux subterfuge de l’Art. Nous vivrons dorénavant dans un monde avec des armes si redoutables qu’elles seront uniquement conçues par des laboratoires où le cerveau humain évoluera constamment dans une atmosphère fabuleuse à côtoyer le prodigieux. Rétrécir la mort organisée! La réduire en peau de chagrin! L’occire de sa propre mort! Le Kankurang venu du Ciel aime la vie. C’est d’elle qu’il accepte la camarade. Et qu’ils nous fassent grief de notre manière d’être! De notre façon de vivre! Et qu’ils nous prennent tout sans rien nous laisser! Et qu’ils nous écrabouillent tels des insectes! Et qu’ils justifient tout par cet axe du Bien contre le Mal! Le Bien, cela va de soi, chez eux. Le Mal, comme de bien entendu, chez nous! Qui veut des preuves sur les exterminations? Les hécatombes? Les boucheries? Les carnages? Les fours crématoires?... Qui n’est point encore convaincu de ce qui se trame? Par Allah, ils veulent nous endaufer à la Sodome et Gomorrhe! Une introduction en douce de leur chimie nucléaire!
La liberté n’est plus au bout du fusil, mais à la pointe de l’aiguille de notre imagination! Personne avant moi, n’avait pensé qu’un avion de ligne pouvait constituer une arme à dégommer des tours en béton armé, symbole phallique de leur domination. Ben-Omar n’est rien d’autre qu’une mouche éphémère dans le temps et il se survivra dans la mémoire des hommes du refus. L’œuvre d’art survit bien à l’artiste. Nous inaugurons l’ère de l’affranchissement des peuples et de l’éclosion de Kankurangs venus du Ciel. Etre prêt à mourir en exigeant le droit de vivre dignement, tel est notre crédo. Ici dès aujourd’hui et demain, pour toujours. C’est l’aube de la fin des ténèbres pour les damnés de la terre, Inch’Allah…
Ben-Omar s’arrêta brusquement de parler comme s’il avait été interrompu par quelque esprit malin dont il subodorait la présence derrière les dunes sablonneuses, depuis le début de sa diatribe. Il ralluma sa cigarette éteinte sans précipitation. Rassuré par la relative quiétude de l’environnement, il cala bien convenablement ses lunettes noires sur son quart de brie. Il afficha ensuite une espèce de sourire qui s’éclipsa aussitôt, laissant place à une expression de duplicité simulée. Il infligea un violent coup de pédale à sa pétrolette posée sur ses béquilles. Le pot d’échappement cracha sa fumée noire sur le sable aux cristaux qui voletait, s’éparpillant. Il se saisit d’un pan de son keffieh, l’enroula tout autour de sa tête jusqu’au cou. Il en rabattit ensuite l’autre extrémité devant la bouche et les narines, en manière de bandeau de protection contre la poussière ou toute autre saloperie susceptible de l’embarrasser. Bien arrimé à sa machine, il assena une taloche à son guidon. La direction pivota. Il appuya tel un dingue sur la manette de l’accélérateur; la meule bondit semblable à un cabri débarrassé des inquiétudes du ventre en pleine aridité. Le journaliste, dérouté par le comportement quelque peu insolite de Ben-Omar, tirait dans la précipitation et l’affolement ses derniers clichés. Le vent soufflait en bourrasques intenses. Il s’engouffrait dans la djellaba du fugitif qui se carapatait à présent entre les buttes de sable, soulevant la poussière. Le reporter prit le dernier cliché sur les tourbillons dans la tourmente. Le bruit imperturbable de la mobylette agaçait, en s’éloignant, la soudaine tranquillité retrouvée de l’erg. Notre reporter pensa avec une sorte de satisfaction mêlée au soulagement que ce départ fût le signe annonciateur du retour de la quiétude dans le désert.
Une fois seul face à l’immensité, le correspondant spécial remit de l’ordre dans son attirail. Il enleva la carte mémoire de l’appareil afin de l’isoler tout à fait en sureté avec la cassette dans une des poches intérieures de son barda. En même temps, il en retira une canette de bière que la chaleur avait pris le temps d’attiédir. Il la décapsula en but la moitié d’une seule traite avant de lâcher un rot. Il la posa devant lui sur son fourbi puis alluma une cigarette. Il était animé d’une sorte d’agitation fébrile. Il aspira goulument la fumée de sa clope, avala la totalité de la bouffée tout en écarquillant les châsses. Il n’arrivait pas à croire à ce qu’il venait de vivre. Un sourire d’orgueil illumina son visage défait et encore marqué par la trouille. Il libéra la taffe, apaisé.
De l’autre côté de la civilisation des hommes, on assistait à une surenchère d’information plus fantaisiste les unes que les autres. La planète devint du jour au lendemain, un cloaque où toutes les vilénies, les saletés et les ignominies pouvaient éclater en plein jour sans même le tact de la décence. Le cynisme fit monter sa côte tels les taux de change sur certaines places, non loin des lambris dorés où on boursicote à la hausse ou à la baisse de cette marchandise qu’était devenu le monde, entre les mains d’êtres vautrés dans la pleutrerie, la pusillanimité et dépourvus de conscience… Pour peu qu’il leur chaille. Les dés sont jetés: Aléa jacta est !!!"
Extrait du Roman "Le Kankurang d'Allah" 2012 -Ed Dédicaces-