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Mots pour maux

par Akodien 17 Janvier 2008, 02:14 Opinions

undefinedLe 29 juillet 2007, à Dakar, le président français Nicolas Sarkozy a prononcé un discours que l’on peut considérer comme son projet d’une Françafrique euro-africaine dépoussiérée. Cette allocution, qui frappe par la franchise du ton et par la simplicité du style, bat le record des longueurs. Le propos est vibrant. Il résonne comme s’il devait se décliner sur le rythme d’un tam-tam parleur. Le nouvel "ami de l’Afrique" a voulu tout dire et il a effectivement tout dit, avec un équilibrisme qui frise le funambulisme. Il condamne sans appel l’esclavage et le colonialisme, mais renvoie la repentance aux calendes grecques. Il invite l’Afrique à se tourner vers l’avenir, mais ne lui demande pas d’oublier le passé. Il fustige les ravages de la colonisation, mais ne s’interdit pas d’en égrener les bienfaits. Le message est nommément adressé aux jeunes, mais, à travers eux, c’est à l’ensemble du contient que Sarkozy parle. Il fait d’ailleurs montre d’une bonne connaissance des maux qui minent l’univers subsaharien. Avec Stephen Smith, il partage la conviction que "la pauvreté de l’Afrique est une pauvreté humaine". Avec Axelle Kabou, il fustige la routine "répétitive" qui fait de l’existence un éternel retour. Nicolas Sarkozy exhorte la jeunesse africaine au rêve, à l’image de toutes les jeunesses du monde. Il l’invite à s’inventer des paradigmes autres que ceux de leurs aînés, à savoir l’enrichissement express et solitaire, la frime et l’appel à l’aide étrangère sur fond de procès à d’introuvables boucs émissaires. "Je sais qu’on vous pille, semble dire Sarkozy, mais cessez au moins de vous saborder et vous serez plus fort, pour résister à l’adversité. Ne donnez pas vous-mêmes aux autres le bâton pour vous frapper".

Contrairement à sa dernière tournée africaine, Sarkozy s’est gardé de minimiser l’économie de l’Afrique subsaharienne qui, comme on le sait, représente moins de 1 % du PIB mondial. Entre-temps, il a dû apprendre qu’il ne pouvait pas continuer à prendre De Gaulle et Mitterrand à contre-pied, eux qui ne cessaient d’affirmer que la France ne pouvait être la France sans l’Afrique. Tant il est vrai qu’au-delà de l’économique chiffrable, il y a le culturel et le politique non chiffrables, mais tout aussi vitaux. Et encore que le seul pétrole du continent ne laisse aucune puissance indifférente, en tous cas pas les Etats-Unis qui visent un approvisionnement à hauteur de 15 % à partir de l’Afrique.

Et la parole ne fut pas bien reçue. Bref, notre intérêt porte moins sur les termes du discours de l’homme d’Etat français que sur les réactions que son propos a suscitées sur le continent destinataire. Dans l’ensemble, on enregistre des réprobations, voire de véritables levées de bouclier. Le premier reproche fait à Sarkozy est de n’avoir rien dit de nouveau. Cela est vrai. Mais, peut-on, encore, dire quelque chose sur l’Afrique que n’aient dit René Dumont (1962), Jean Chatenet (1970), Axelle Kabou (1991), Pierre Merlin (2001), Stephen Smith (2003), Futurs africains (2003) et Ernest Tigori (2005), pour ne citer que ceux-là ? Le propos de Sarkozy n’est pas le gong de rupture que son auditoire attendait. Cet homme ne s’est jamais présenté comme un révolutionnaire ambitionnant de tourner le monde de 180 degrés. L’administration est une continuité et il n’y dérogera pas. Le premier des Français ne promet pas, non plus, une pluie d’euros sur l’Afrique, qui ne servirait d’ailleurs pas à grand-chose. La France, pour avoir donné l’abbé Pierre, n’est pas une "nation abbé Pierre". Même quand elle le voudrait, elle n’en aurait pas les moyens. Ce pays est une puissance moyenne et comme toutes les puissances de l’histoire, ce qui importe le plus c’est de s’y maintenir, dans un monde à compétition de plus en plus féroce. Concernant l’aide française, le classement effectué par des organismes spécialisés place ce pays parmi les nations les moins généreuses. Il est surtout de ceux qui donnent par la main gauche et reprennent par la main droite. Il est peu probable que Sarkozy rame à contre-courant de ses prédécesseurs. Le plus grand service qu’il peut rendre aux Africains est de persévérer dans cet appel à se faire loups parmi les loups. En clair, il rejoint en quelque sorte les Américains qui préconisent le "business, not aid". Quoi qu’il en soit, la politique de la main tendue et des rentes de situation ne fait plus recette depuis la chute du mur de Berlin.

Le discours du nouveau chef d’Etat français le place sur une orbite différente de celle de ses prédécesseurs, par la liberté du ton et l’envergure de l’analyse. Visiblement, Sarkozy s’est fixé, comme objectif, de choquer sans blesser. Ce pari, il ne l’a pas gagné, mais il a sans doute la satisfaction de s’être acquitté d’un devoir. Du reste, l’énergie dépensée par les Africains à le dénigrer aurait été mieux valorisée en la mobilisant contre la corruption, la gargantuesque bureaucratie, la gabegie, le copinage et contre le tribalisme qui caractérisent l’Etat africain post colonial.

Deux autres reproches ont été faits à l’illustre hôte, à savoir le soutien de la France aux dictateurs africains et le pillage des ressources africaines par le capitalisme français. Sarkozy n’est pas fabricant de dictateurs, du moins pas jusqu’à ce jour, et les pilleurs de l’Afrique sont de tous les horizons. Ils opèrent, tous, sans état d’âme selon la "loi du rapport du loup au mouton. Sarkozy invite les Africains à se faire loups parmi les loups, car il sait que c’est le seul moyen de ne pas se faire dévorer dès lors que les loups ne se mangent jamais entre eux. Il ne faudrait compter ni sur la Bible, ni sur le Coran, ni sur les Veda, et encore moins sur les lois humaines, pour espérer un jour adoucir les mœurs des loups vis-à-vis des moutons.

Dans la virulence vis-à-vis du propos de Sarkozy, la palme revient au journaliste camerounais Achille Mbembe. Cet homme de talent, qui s’était bien illustré par son excellent livre "L’Afrique a-t-elle besoin d’un ajustement culturel", n’y est pas allé du dos de la cuillère. Sa diatribe largement diffusée sur Internet rivalise de longueur avec le discours du président français, comme s’il eut voulu se conformer à la loi de la physique qui veut que l’action et la réaction s’égalent. On peut aussi retenir le commentaire d’un autre jeune africain qui nous fait remarquer que "Sarkozy, fils d’un immigré hongrois n’est pas français et ne connaît pas les relations entre la France et l’Afrique". Il s’agit là, d’une super nègrerie, qu’il eut fallu ne pas chercher à exporter hors du continent qui eut le privilège de voir gambader le premier homme. La nation actuellement la plus puissante du monde, s’est construite sur la différence et elle continue à recruter les meilleurs cerveaux de la planète pour consolider sa position. En portant leur confiance à Sarkozy "le hongrois", les Français ont justement montré, que quatre gros siècles après Descartes, ils ne pouvaient en rester à ces ténébreuses considérations.
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